Les Minas Gerais que j'ai connu sont de longs paysages de collines sans arbres, qui s'étendent loin à l'intérieur du Brésil. Pour de nombreux brésiliens, ces vallées sont une promesse de repos, des étendues cachant de fermes humbles et tranquilles.

Mais l'Etat de Minas Gerais est né d'une violente passion, et ses monts paisibles arborent partout les marques de ces temps.
Il y a 400 ans, les expéditions de bandeirantes entraient dans ces vallées, et découvraient de fabuleuses rivières remplies d'or et de pierres précieuses. La fièvre de richesses guéri les colons de la crainte de la jungle, et ils pénétrèrent par millions le continent à la recherche de fortunes.
Les forêts vierges qui couvraient ces collines furent détruites à la recherche de trésors, et de grandes villes d'Églises et de statues prirent leur place. Malgré les efforts des rois de Lisbonne, les Mines Générales de l'empire portugais furent réparties entre les mains de cupides aventuriers.
Mais la fièvre de l'or ne tarda pas à s'éteindre. En à peine 60 ans, les mineurs virent les sources se vider, et leurs villes glorieuses tombèrent en ruines. Tandis que quelques uns d’entre eux partaient chercher la chance ailleurs, les plus tenaces restèrent, en fondant des fermes dans ces longues terres abandonnées. Ainsi, les collines de Minas se vidèrent aussi vite qu'elles furent envahies. Ses jungles, elles, ne grandirent plus jamais.
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Juiz de Fora est l'une des portes d'entrée aux vallées de Minas Gerais.
Il n'y a sans doute pas de ville plus normales que Juiz de Fora. Pour moi, c'est l'un de ces endroits où les Hommes vivent parce qu'ils y sont nés, et essayent à tout pris de transformer leurs vies anodines en quelque chose de beau.
C'est une ville moderne, couverte de grands immeubles, traversée par un train (que plus personne ne prend) et qui garde un centre historique si dévasté qu'il faut faire des efforts pour le trouver beau. Pourtant, elle abrite d'étranges cachettes où de vieux artistes tentent de vivre avec un peu de poésie.
À quelques mètres de rails rouillés, un petit groupe de peintres s'installe dans les salons de la station. Les corridors en bois font penser à un village calme et idéal, mais les murs de la maison cachent mal le vacarme des camions tous proches. Les artistes ferment les yeux, observent le quai et le ciel bleu, et prennent leurs pinceaux.
Alors, ils dessinent des vallées et des forêts imaginées, en y ajoutant des couleurs et leurs fantaisies. Quand ils finissent, ils les présentent à leurs collègues, en silence. Ensuite, ils pendent leurs créations sur les murs, en décorant des salons qui ploient sous le poids de leurs paysages délirants.
Personne ne visite cette gare abandonnée, mais les peintres sont toujours au rendez-vous.
La ville de Juiz de Fora cache, ainsi, des endroits où les hommes apportent un remède à la laideur.
Entre les murs en brique d'une vieille fabrique, où l'on empile des vieux livres et des films brésiliens. Ou sur une colline de la ville, où les marcheurs peuvent monter jusqu'à atteindre un Christ étrange, pour voir les immeubles qui couronnent la ville.
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Tiradentes est un nom étrange, qui revient dans les villages et les boutiques de Minas Gerais. « Celui qui arrache les dents », c'est le surnom de Joaquim de Silva, un jeune Mineiro, agriculteur et dentiste qui, au XVIIIème siècle, tenta de proclamer l'indépendance de son pays. Son rêve n'eu pas le temps de s'accomplir : il finit capturé, torturé et exécuté sur une place de Rio de Janeiro.
Personne ne connaît Tiradentes hors du Brésil, mais son visage de Christ écartelé est dans tous les musées du pays, et son nom revient sur la plupart des vieilles gares de Minas.
Le petit village de Pedra Dourada n'a même pas de train, et son paysage a à peine changé depuis les temps du Libertador. Perdu dans une vallée immense, le temps s'est écoulé de façon étrange dans cet hameau de cinq rues.
Dans sa place avec signal Wi-Fi, une charrette se presse avant l'aube. Les trottoirs sont vides en permanence, mais les chutes d'eau des alentours sont remplies d'enfants et de touristes.

Ses habitants les plus vieux prétendent que l'Église fut bâtie par des migrants italiens, arrivés par camion des auberges de Juiz de Fora. Mais des légendes étranges rappellent des temps plus lointains, quand des colons assoiffés d'or furent dévorés dans une colline qui brillait sous les feux du soleil.
Malgré l’unique sentier qui l'unit au reste du Brésil, ce village ne respire pas la solitude. Il est difficile d'imaginer la misère dans un endroit comme celui-là, où les maisons sont minuscules, mais les horizons ne terminent jamais.

La pluie tombe sur la terre de Pedra Dourada. On écoute à peine les gouttes tomber sur les toits en zinc, et les familles murmurer dans les petits salons.
Ce village solitaire n'est qu'un visage de plus de Minas Gerais, que le Brésil n’a pas encore défiguré.
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